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CSaracino

"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté"

Dernière mise à jour : 3 févr. 2021

Chronique d'un samedi de permanence, presque comme les autres

9 novembre 2019


L'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales trône sur l'un des murs du couloir du 4ème étage, à quelques mètres des salles d'audience du Juge des libertés et de la détention, dans le nouveau, immense et froid, Tribunal de Paris signé par Renzo Piano.


C'est plus ou moins à cet endroit qu'un étranger a mis fin à ses jours il y a quelques mois, en se jetant par un balcon.


Je me trouve face à cette image de ce beau texte qui fait rêver, en me dirigeant vers ma salle d'audience, après avoir rencontré la misère humaine, dans les box des avocats.


Et je me demande :


"Les êtres humains ont-ils tous les mêmes droits ? Les droits fondamentaux s'appliquent-ils aux êtres totalement démunis qui viennent de me raconter leurs vies ?"


Ils ont été interpellés à La Chapelle, où ils vivaient dans des conditions dégradantes, pour certains depuis plusieurs années.


Et ils sont maintenant en rétention, car la France, le Pays des Droits de l'Homme, les renvoie dans leur pays, d'où ils s'étaient échappés, au prix d'énormes sacrifices.


Plusieurs personnes qui ne se connaissent pas entre elles me font le même récit de policiers qui les réveillent dans leurs tentes, au petit matin, entre 4 heures et 5 heures, et les attirent dans des cars avec la promesse d'un logement à l'hôtel.


Déjà, le contrôle d'identité n'était autorisé qu'à partir de 6 heures du matin, et non plus tôt.


Aussi, le car ne va pas à l'hôtel. Il les apporte au commissariat de police, puis au centre de rétention.

Cette tromperie n'est pas acceptable devant un tribunal ordinaire, qui juge des personnes ordinaires.


Mais ce n'est pas le cas de ces personnes.


Aucune de ces personnes n'a été assistée par un avocat pendant la retenue. Aucune n'a rencontré un médecin.


Tous me disent qu'ils n'ont pas été informés de leurs droits et, si certains ont pensé à demander l'assistance d'un avocat pendant la retenue, ils ne l'ont pas eue.


Un PV avec des cases pré-remplies, les mêmes dans tous les dossiers soumis au Juge des libertés et de la détention, suffit à la Juridiction comme preuve pour pouvoir renvoyer dans leurs pays des personnes qui y étaient persécutées.



D'après la Préfecture, toutes les personnes interpellées à La Chapelle et jugées par le Juge des libertés ce samedi avaient été informées de leurs droits et avaient décidé d'exercer le même droit, celui d'appeler leurs proches, alors même que certains n'en avaient pas.


En revanche, personne n'avait eu besoin d'un avocat, ni d'un médecin.


Ces PV établis sans avocat ont permis de valider des procédures manifestement irrégulières.


J'invoque la violation du droit au procès équitable, le détournement de la procédure administrative d'expulsion du domaine public, la violation de la loi pénale.


Des arguments auxquels le Juge aurait dû faire droit, si l'on appliquait le droit tel qu'il est écrit dans les livres et enseigné à l'Université.


Ces arguments s'appliquaient à tous les dossiers soumis au Juge des libertés ce samedi, et nous, les avocats de permanence, nous les avons tous soulevés.


Mais, dans la vraie vie, un procès en droit des étrangers, dans la capitale du Pays des Droits de l'Homme, n'est qu'une pièce de théâtre.


Ceux qui connaissent le droit ne font que jouer un rôle, qu'ils connaissent à l'avance.


Que l'on se batte ou pas pour mettre en avant la vérité, le scénario des autres acteurs ne change pas.


Le délibéré ne compte que pour les justiciables. Ce n'est que pour eux que cette pièce dans laquelle on nous fait jouer, c'est parfois toute leur vie.


L'un, au regard triste et profond, avait quitté son pays à 16 ans, avait traversé l'Afrique à pied et n'avait trouvé en France d'autre logement que sous une tente à La Chapelle, alors même qu'il était mineur lorsqu'il y était arrivé.


Un autre, d'à peine plus de 20 ans, venait d'arriver à Paris depuis 2 jours, après un an et 8 mois de voyage à pied depuis la Guinée. Ne sachant pas comment ni où déposer sa demande d'asile, il avait été se renseigner à la Préfecture de Police, Ile de la Cité, le matin du 7 novembre. Et là, on lui a conseillé d'aller à La Chapelle, où il s'est fait interpeller dès son arrivé, pour être maintenant en cours d'expulsion, sans que la France ne lui ait même pas permis de déposer sa demande d'asile dans des conditions normales.


Et lorsque ce jeune, qui avait encore de l'espoir, a tenté de faire des observations sur son parcours migratoire, le Juge des libertés l'a empêche de parler.


D'après le juge, cela n'était pas de son ressort, alors qu'en droit, il devait pourtant juger si la Préfecture avait vraiment étudié l'état de vulnérabilité de cette personne.


Or, pour cela, il aurait fallu qu'il connaisse son parcours.

Ces injustices, il est plus simple, pour sa conscience, de les ignorer, lorsque la décision doit être dictée par des considérations politiques.


Face à ce spectacle, je me demande quel est mon rôle dans cette pièce.


Je pourrai me limiter moi aussi à improviser mon rôle...


Mais après le délibéré, même si nous avons perdu, certaines de ces personnes me regardent, et me remercient.


Alors, j'ai ma réponse. Je sais pourquoi je ne peux pas me taire, pourquoi je ne peux pas fermer mes yeux face aux épreuves vécues par ces personnes.


Ceci se passe dans la capitale du Pays des Droits de l'Homme...


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